Le Malheur russe - eBook

9782213649726
2-213-64972-3

A qui tente d'tablir un atlas et une chronologie des meurtres politiques, trois vidences s'imposent. Nulle socit n'a t continment l'abri du meurtre politique sous ses aspects divers. Mais il est des temps.

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historiques o le meurtre connat une fortune remarquable: le XVIe sicle europen, par exemple; ou encore le XXe, o, sous la forme de la terreur de masse et des mouvements terroristes, il gagne plus ou moins tous les continents. Il est aussi des moments o le meurtre politique rgresse et apparat plutt comme un moyen exceptionnel de rsoudre des conflits de pouvoir. Pourtant, cette conception qui met un moment ou un autre toutes les cits sur le mme plan et qui fait du meurtre politique la cl des pisodes tragiques de leur histoire, un pays _ peut-tre pas le seul, mais son exemple est le plus clatant, s'agissant d'un grand pays d'Europe _ fait exception: la Russie.L'histoire de ce pays dans lequel Tocqueville, lorsqu'il scrute l'avenir, discerne qu'il est appel " par un dessein secret de la Providence tenir un jour dans ses mains la moiti du monde " galit avec les seuls Etats-Unis, dont il dit que le monde " dcouvrira tout la fois la naissance et la grandeur ", est avant tout une histoire continue du meurtre politique. Du moment o se fonde la Russie, au IXe sicle, et o commence sa christianisation, jusqu' l'apoge prvue par Tocqueville, il n'est gure de gnration qui n'y ait assist, ptrifie, l'ternelle liaison entre meurtre et politique. Les temps de rpit, dans ce pays, ce sont les guerres et les invasions qui les ont apports, autres formes de violence et de mort, mais dont l'avantage est qu'agissant de l'extrieur, elles unissent pour un temps pouvoir et socit contre l'ennemi porteur de mort.Cette longue tradition meurtrire a sans nul doute faonn une conscience collective o l'attente d'un univers politique pacifi tient peu de place, tandis que la violence ou sa crainte y sont profondment ancres. De ce malheur si profondment ressenti tous les ges, que les esprits superficiels nomment l'me russe, l'on peut se demander o est la cause, o est l'effet. Est-ce le meurtre politique trop longtemps utilis qui a produit une conscience sociale malheureuse et soumise, et, par l, incapable d'imposer, comme ailleurs, un autre cours au politique? Ou bien est-ce cette conscience malheureuse, pouvante, qui appelle sur elle, sinon la colre des dieux, du moins le dchanement des meurtriers.Hlne Carrre d'Encausse